La "Boutik Bô Kay", bien plus qu'une épicerie
En Martinique, l'épicerie sociale itinérante du Secours Catholique va à la rencontre de personnes et de familles peu mobiles et souvent isolées. Le projet vise avant tout à recréer du lien social et à favoriser l'autonomie des personnes.
Ce lundi matin du mois de mars, dans la pénombre de la salle polyvalente du presbytère du Marin (sud-est de la Martinique), on rencontre Cédric, 37 ans, jeune chômeur nouvellement arrivé dans la commune, un peu par hasard.
« C'est ici que j'ai trouvé un appart », dit le jeune homme, originaire de Fort-de-France. Assis un peu plus loin, Franck, 48 ans, deux enfants, est un métropolitain installé en Martinique depuis vingt ans.
Il a travaillé quinze ans dans la location, la réparation et le convoyage de bateaux avant de se retrouver au chômage.
À côté de lui, Nathalie, 56 ans, récemment divorcée, cherche du travail dans le secrétariat depuis trois ans. En attendant, elle vend sur le marché des confitures de goyaves, ananas, patates douces, groseilles antillaises... Une production maison pour compléter l'allocation de solidarité spécifique (ASS) qui la fait vivre depuis quelques mois.
Autour des trois tables disposées en U sont aussi assises Laurette, Flore, Toupette, Caroline, Josette, Barbara... Ils sont une quinzaine au total à participer à l'atelier animé par Gwenaëlle Goldery-Blevinal, bénévole au Secours Catholique et conseillère de métier en économie sociale et familiale.
Bons plans et conseils pratiques
Le thème du jour est “la consommation”, ou comment organiser les courses alimentaires à partir de ce dont on dispose et de son budget.
« J'achète des légumes en boîte ou surgelés, c'est moins cher. Comme mes enfants n'aiment pas ça, je les mélange souvent avec des pâtes ou des pommes de terre en gratin », raconte Myriam, 36 ans, qui gère seule une famille de trois enfants de 4, 8 et 14 ans.
Née à Maisons-Alfort (94), la jeune femme a quitté Montaigu (85) il y a trois ans pour venir vivre ici, au village où a grandi sa mère. Elle confie une astuce : « Tu passes les salsifis ou les poireaux au mixeur, ça peut remplacer la crème fraîche ou la béchamel. »
Gwenaëlle enchaîne avec les bons plans et conseils pratiques apportés par les participants, et en profite pour expliquer comment gérer, par exemple, la peur du manque ou le risque de gaspillage.
Le but n'est pas de dire aux uns et aux autres ce qu'ils doivent faire, « mais ce sont des réflexions à avoir », précise-t-elle.
L'épicerie est un peu un prétexte, c'est ce qui va faire venir les gens.
À l’extérieur, Louise-Marie Mathieu et Octavie Occolier ouvrent le camion-épicerie tout juste arrivé de Rivière-Pilote. Puis les deux bénévoles préparent une quinzaine de commandes que les participants viendront récupérer à la fin de l'atelier.
Les produits alimentaires proposés sont 70 % moins chers que dans les grandes surfaces. C'est l'autre volet du projet “BBK” – pour Boutik Bô Kay (“l'épicerie à la maison”) – imaginé par le Secours Catholique martiniquais pour aller à la rencontre des personnes en précarité dans les zones enclavées du nord et du sud de l'île.
« L'épicerie est un peu un prétexte, c'est ce qui va faire venir les gens », explique Marcette Louis-Joseph, déléguée du Secours Catholique en Martinique.
« Ce service ne dure que quatre mois et demi. Il nous permet d'établir un premier contact avec les personnes pour leur proposer un accompagnement. D'abord dans le cadre d'ateliers bimensuels animés tout au long de ces quatre mois puis, plus durablement, au sein des équipes locales de l'association. »
Le fait de limiter dans le temps l'accès à l'épicerie impliquait de lui donner un but. « Sinon, cela aurait été contre-productif », estime Marcette.
Nathalie n'a pas encore fait précisément le calcul, mais en quatre mois et demi elle devrait économiser plusieurs centaines d'euros. « Cela me permettra d'acheter un ordinateur et une imprimante », prévoit-elle.
Tous les participants ont défini, en amont, un projet qu'ils souhaitent réaliser grâce à ces économies.
Cédric doit payer la caution de son appartement et faire réparer sa voiture. Myriam, elle, compte financer une partie de son permis de conduire. « Avec le permis, espère-t-elle, ce sera plus facile de trouver du boulot. »
Trois jours plus tard, on retrouve l'épicerie mobile plus à l'ouest, aux Anses d'Arlet. L'atelier proposé porte cette fois sur l'utilisation du portail Internet de la Caisse d'allocations familiales (Caf).
Animé par Gaëlle Désirée et Renée Magloire, salariées de la Caf, il se tient au cyber-espace de la commune. Pour Jean-Michel, 55 ans, en arrêt maladie, cet atelier est l'occasion de rencontrer enfin Renée Magloire qu'il souhaitait voir pour régler un problème de versement d'indemnités.
« À la Caf, ce n'est pas facile d'obtenir rapidement un rendez-vous. Là, au moins, le contact est pris. » En venant à la BBK toutes les deux semaines, il peut aussi rencontrer du monde.
On échange sur nos conditions, avec dignité, sans craindre le jugement.
Séparé récemment de sa femme, contraint de quitter Fort-de-France où vit toute sa famille pour intégrer un logement social aux Diamants, à 30 km, cet homme d’une cinquantaine d’années se sent isolé.
« Dans des moments où on a tendance à se refermer sur soi, ces ateliers font du bien au moral, assure Nathalie, du Marin. On compose avec d'autres, on échange sur nos conditions, avec dignité, sans craindre le jugement. »
Ce qui soulage aussi, confie-t-elle, « c'est de se rendre compte qu'on n'est pas seul(e) à vivre cette situation de galère ».